(Source: La Dépêche, www.ladepeche.fr, publication du 5 septembre 2009)
À Toulouse, la Garonne affole les compteurs Geyger. Début août, après une série de relevés effectués dans le fleuve par l'association écologiste Les Amis de la Terre, un taux de radioactivité anormalement élevé a été observé à hauteur de Ginestous, à l'endroit où la station d'épuration rejette les eaux usées de la ville de Toulouse.
« Nous avons décidé de réaliser une série de mesures dans la Garonne, à plusieurs endroits de Toulouse, avec deux appareils : un gamma scoot et un radiamètre DG5, du matériel professionnel, explique Alain Ciekanski, président des Amis de la Terre Midi-Pyrénées. Nous avons mesuré la radioactivité à la SNPE, Empalot, la Prairie des Filtres, le pont des Catalans, le pont de Blagnac jusqu'à Fenouillet… En amont de la sortie de la station d'épuration de Ginestous, rien à signaler. Mais en aval, nous avons constaté des niveaux entre 40 % et plus de 100 % plus élevés qu'en amont » soit 0,22 microsievert par heure à Ginestous contre 0,08 en amont du fleuve.
Rejets des hôpitaux
Les Amis de la Terre ont prélevé sur le site des plantes aquatiques, transmises pour analyses au laboratoire de la Criirad (1), experts en recherches sur la radioactivité. La Criirad a décelé dans les algues de la Garonne la présence anormale d'iode 131, un élément radioactif qui n'existe pas à l'état naturel. Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et responsable du laboratoire de la Criirad, est formel : « L'iode 131 est utilisé dans l'imagerie médicale ou le traitement des cancers de la thyroïde ». Sa présence dans le fleuve est donc directement liée aux activités de médecine nucléaire.
Déjà, en 1993 à Toulouse, les Amis de la Terre avaient lancé un pavé dans la Garonne où la présence d'iode 131 avait été observée. Les rejets dans le tout-à-l'égout des établissements hospitaliers et de leurs patients avaient alors été clairement identifiés.
Henri Matéos, président de la commission eau et assainissement du Grand Toulouse, et Véolia, qui exploite la station d'épuration, confirment que les résidus d'iode 131 proviennent toujours des établissements hospitaliers toulousains, en particulier Rangueil et Claudius-Regaud, spécialisés dans le traitement des cancers. « Malgré les alertes lancées voici près de 20 ans par les Amis de la Terre ces niveaux de radioactivité en iode 131 sont quasiment les mêmes que ceux que nous avions mesuré au début des années 90, dénonce Alain Ciekanski. Les cuves de rétention des hôpitaux sont sous-dimensionnées et les rejets des patients ne sont pas collectés. Il est temps pour les pouvoirs publics de prendre enfin les mesures pour neutraliser cette contamination radioactive. » Le Grand Toulouse doit interpeller les services de l'Etat (2) « pour mettre en place les dispositifs de surveillance nécessaires et vérifier les conditions de rejet en amont de la station d'épuration ».
(1) Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité
(2) Sollicitée, la préfecture n'a pas souhaité répondre à nos questions.
L'iode 131 est un isotope radioactif. Il est couramment utilisé en médecine nucléaire dans les scintigraphies (une méthode d'imagerie médicale) ou les curiethérapies pour le traitement du cancer de la thyroïde. Se présentant sous forme liquide, il peut injecté ou ingéré par les malades.
L'iode 131 émis lors des accidents nucléaires (celui de Tchernobyl en particulier) pose problème en raison du fait que la thyroïde fixe une grande partie de l'iode absorbé via l'alimentation, l'eau ou l'inhalation. L'iode est alors facteur de cancer ou troubles graves de la thyroïde.
Il présente toutefois une faible durée de vie. « Il perd la moitié de sa radioactivité tous les huit jours et il faut plusieurs semaines avant qu'il ne disparaisse du corps d'un patient » explique la Criirad. Outre sa présence dans les cours d'eaux en aval des stations d'épuration des grandes métropoles, les associations écologistes dénoncent par ailleurs sa dispersion dans l'atmosphère par l'incinération des boues d'épuration.
Interview. Bruno chareyron de la criirad
« Les patients traités sont radioactifs »
Bruno Chareyron est ingénieur en physique nucléaire et responsable du laboratoire de la Criirad, qui a réalisé les analyses de la Garonne.
Comment qualifier le phénomène radioactif toulousain ?
Il ne s'agit pas d'une pollution majeure mais de la présence anormale d'un élément radioactif qui s'appelle l'iode 131.
Qu'est-ce que l'iode 131 ? Comment l'utilise-t-on ?
C'est un élément radioactif qui n'existe pas à l'état naturel : si on avait réalisé des analyses il y a cent ans, on n'aurait rien trouvé. L'iode 131 est couramment utilisé en médecine nucléaire dans les scintigraphies ou les curiethérapies pour le traitement du cancer de la thyroïde.
Les Amis de la Terre dénoncent le manque d'encadrement des rejets…
C'est un problème que la Criirad dénonce depuis plus de quinze ans. L'utilisation de l'iode 131 n'est pas assez encadrée et conduit à des impacts qu'il faudrait mieux maîtriser. Les patients sont des sources radioactives ambulantes. Ils exposent leurs proches à la radioactivité et les hôpitaux ne pratiquent pas tous la même information. Il ne faudrait pas bercer un enfant, faire chambre à part… Ces patients rejettent ensuite l'iode 131 par leur urine dans le tout-à-l'égout.
Ils circulent donc dans les collecteurs des eaux usées…
Oui. On retrouve systématiquement en aval des stations d'épuration des grandes villes les rejets des patients et des hôpitaux. On peut aussi détecter leur présence dans les fumées des incinérateurs de boues d'épuration.
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